Burkina Faso : pourquoi le capitaine Ibrahim Traore est-il si populaire auprès de la jeunesse africaine ?

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- Author, Ousmane Badiane
- Role, Digital Journalist BBC Afrique
- Twitter,
Des milliers de personnes se sont rassemblées ce mercredi 30 avril, sur la place de la Révolution à Ouagadougou pour manifester leur soutien au président de la transition le capitaine Ibrahim Traoré.
Cette manifestation intervient après que le commandant américain de l'AFRICOM, le général Michael Langley, a affirmé début avril devant la commission sénatoriale américaine sur l'armée, que le régime militaire au pouvoir au Burkina Faso tirait profit des ressources notamment des réserves en or du pays pour assurer sa propre protection plutôt que pour celle de la population.
Les propos tenus par le général Langley devant le Sénat américain ont suscité une vague de réactions au Burkina Faso et dans l'ensemble des pays de l'AES et même au delà de la région.
Le gouvernement burkinabé a fustigé ces déclarations du commandement militaire américain, estimant qu'elles "ne visent qu'à nuire à l'image du pays".
Des centaines de messages et de publications de soutien au capitaine Traore ont inondé les réseaux sociaux ces derniers jours.
Sur la plateforme X (ex Twitter), des artistes, des activistes, des jeunes leaders africains et même des Afro-Américains ont exprimé leur indignation face aux déclarations du Général américain Langley.
Ce soutien massif à l'endroit du leader militaire du Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traore se manifeste au moment ou les tensions avec les puissances occidentales ne cessent de croître.
Les accusations de corruption faites par le général Langley contre le président de la transition le capitaine Ibrahim Traoré, loin de fragiliser le régime au Burkina Faso , ont plutôt conforté le statut et l'aura du jeune leader militaire, dont la popularité dée les frontières nationales.
Depuis plusieurs années, le Burkina Faso est confronté à des violences djihadistes qui ont provoqué des milliers de morts et causé le déplacement de plus de deux millions de personnes.
En prenant le pouvoir en septembre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré a promis de faire de la lutte contre le terrorisme sa priorité. Il a lancé des campagnes de recrutement massif de volontaires pour la défense de la patrie (VDP), intensifié les opérations militaires, et renforcé les capacités des forces armées. Cette posture offensive contre les groupes armés lui a valu le soutien d'une grande partie de la population
Toutefois, la popularité de M. Traoré va au-delà de l'acceptation du régime militaire par les civils. Il a entrepris des réformes radicales qui trouvent un écho auprès d'une large frange de la population.

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Discours souverainiste et franc-parler
Traoré a rapidement adopté un discours anti-impérialiste, critiquant fortement l'ingérence des puissances occidentales, en particulier la .
Son choix de se rapprocher de nouveaux partenaires comme la Russie et l'Iran, et de quitter certains cadres de coopération régionale (G5 Sahel, CEDEAO ) a été perçu comme une affirmation de souveraineté.
Ce changement géopolitique résonne fortement auprès d'une jeunesse en quête d'indépendance politique et économique.
Cette popularité du président Ibrahim Traoré auprès de la jeunesse, est due principalement à sa posture anti-impérialiste et à son discours souverainiste, estime le journaliste-écrivain, Seidik Abba, chercheur associé et président du Centre international d'études et de réflexions sur le Sahel (CIRES).
« Il y a d'abord sa posture anti-impérialiste. Le fait qu'il se positionne comme quelqu'un qui refuse toute ingérence étrangère dans les affaires de son pays reçoit un écho favorable auprès de la jeunesse africaine qui est fatiguée de l'ancien système où les pays africains reçoivent des ordres ou eux-mêmes sollicitent des ordres auprès des anciennes puissances coloniales ou de l'ordre international. Cette posture nationaliste anti-impérialiste fait qu'il est très populaire auprès de la jeunesse », note M. Abba.
Dans ses différentes allocutions et prises de paroles publiques, il a souvent réitéré sa volonté de « redonner au peuple burkinabè sa souveraineté et sa fierté ».
« Nous serons impitoyables et sans état d'âme face à ceux qui veulent entraver le développement de notre patrie », a-t-il prévenu à l'occasion de la traditionnelle montée des couleurs le 1er Avril 2025.
Un franc-parler et une fermeté qui séduisent une bonne partie de la jeunesse qui se retrouve dans ce discours anti occidental, note Seidik Abba.
« Il y a aussi la façon de parler, le franc-parler du président Ibrahim Traoré qui s'éloigne même de certaines précautions diplomatiques lorsqu'il dénonce la , lorsqu'il dénonce les médias, qu'il accuse d'être proche de l'Occident. On voit que son discours n'est pas enveloppé dans des précautions diplomatiques. Ce franc-parler c'est dû à sa jeunesse », observe le journaliste-écrivain nigérien.
Toutefois, cette popularité du capitaine Traoré auprès des gens ordinaires est à relativiser dans un contexte de recul démocratique et d'absence de liberté d'expression, estime Daniel Eizenga, Chercheur au Centre d'études stratégiques pour l'Afrique basé à Washington D.C, aux Etats Unis,
« Après avoir organisé son coup d'État en 2022, le capitaine Traoré a utilisé un narratif anti-impérialistes pour exploiter les griefs populaires et alimenter le soutien politique. Cela semble être particulièrement efficace auprès d'une jeune génération de personnes plus présentes en ligne sur les plateformes de médias sociaux. Mais la popularité de Traoré parmi les gens ordinaires est également discutable. Traoré a été à l'origine d'un pic de répression violente à l'encontre de ses détracteurs. À la tête de la junte, il a sévèrement réprimé les voix indépendantes. Les journalistes, les dirigeants de la société civile, les chefs de partis politiques et même les juges ont été la cible de la junte, qui a eu recours à la conscription forcée et à d'autres formes de répression violente. Les citoyens qui appellent au changement ont été enlevés, détenus, ont disparu et ont été envoyés en première ligne après avoir été enrôlés de force dans les milices du pays.»

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Le nouveau Sankara ?
Le capitaine Traoré est devenu un symbole de résistance contre l'influence occidentale en particulier l'influence française, ce qui trouve un écho positif auprès de la population à majorité jeune.
Son positionnement révolutionnaire et son engagement envers l'unité africaine plaisent à de nombreux Burkinabè, en particulier la jeunesse.
« Il y a un troisième élément pour moi, le fait que par sa jeunesse, par son franc-parler, par sa posture impérialiste, Ibrahim Traoré rappelle un autre président Burkinabè qui est le capitaine Thomas Sankara dont on ne peut pas douter de la popularité près de 40 ans après son décès », estime Seidik Abba, président du Centre international d'études et de réflexions sur le Sahel (CIRES).
Le régime militaire au pouvoir au Burkina multiplie les actes symboliques voire populistes pour renforcer son image. La décision de renoncer au salaire présidentiel et de choisir le modeste revenu qu'il recevait en tant que leader de l'armée l'a rendu populaire auprès du public.
Pour Daniel Eizenga, Chercheur au Centre d'études stratégiques pour l'Afrique basé à Washington D.C, aux Etats Unis, même si elle tient sur certains points, cette comparaison repose plus sur la nostalgie.
"Il est vrai que les deux capitaines ont pris le pouvoir à l'âge de 34 ans. Mais les comparaisons s'arrêtent à leur grade et à leur âge. Sankara est arrivé au pouvoir dans les années 1980, dans un contexte de fin de la guerre froide et de divisions idéologiques au sein de l'armée. Les officiers favorables à Sankara ont mené un coup d'État en 1983. Considéré comme un révolutionnaire marxiste, Sankara a tenté de mettre en œuvre des réformes politiques : participation politique accrue, autonomisation des femmes, lutte contre la déforestation et réduction des inégalités. Traoré, lui, gouverne dans une situation beaucoup plus précaire. Son coup d'État, comme celui de Damiba, a révélé une armée fragmentée : la plupart des officiers militaires n'ont participé ni à son coup d'État ni à celui mené par Damiba. De l'aveu du régime en place, la junte a fait face à de multiples tentatives de déstabilisation. Cela met en évidence les moyens arbitraires par lesquels le pouvoir a changé de mains et l'instabilité inhérente au régime de la junte."
Réformes économiques symboliques
Les relations entre les États-Unis et le Burkina Faso se sont plutôt refroidies notamment en raison de la nouvelle politique minière du président de la transition.
Depuis sa prise de pouvoir en 2022, le capitaine Ibrahim Traoré a entrepris une série de réformes visant à renforcer le contrôle de l'État sur les ressources minières, en particulier l'or, principale exportation du pays.
En octobre 2024, il a annoncé le retrait de certains permis d'exploitation accordés à des entreprises étrangères, déclarant : « Nous savons comment exploiter notre or, et je ne comprends pas pourquoi nous laisserions les multinationales le faire à notre place » .
Cette décision s'inscrit dans une volonté plus large de renationalisation du secteur minier, avec l'objectif de faire bénéficier davantage la population des ressources naturelles du pays.
Le gouvernement a également repris la gestion de deux mines d'or, Boungou et Wahgnion, pour un montant d'environ 90 millions de dollars, mettant fin à un différend entre les sociétés minières Endeavour Mining et Lilium Mining.
Les actions de Traoré n'ont pas amélioré la situation sécuritaire qui s'est dégradée depuis son arrivée au pouvoir en octobre 2022, tempère Daniel Eizenga du Centre d'études stratégiques pour l'Afrique.
« La junte du Burkina Faso est soumise à une pression énorme. La situation sécuritaire s'est considérablement détériorée depuis la prise de pouvoir de Traoré en 2022, le nombre de morts liées à la violence islamiste militante ayant presque doublé pendant son mandat. Les forces armées ont payé un lourd tribut, des centaines de soldats ayant été tués lors d'attaques en 2024. Le nombre de personnes déplacées de force en raison de l'insécurité a grimpé à plus de 10 % de la population. Des milliers d'écoles ont été forcées de fermer en raison de l'insécurité, laissant une génération d'enfants sans éducation. Ces tendances se sont produites alors que les dépenses militaires ont augmenté de près de 70 % au cours des deux dernières années pour atteindre près d'un milliard de dollars, soit près de 18 % des dépenses publiques. Cela représente une augmentation de plus de 10 % des dépenses gouvernementales depuis le coup d'État militaire de Traoré en 2022. Il est donc difficile de comprendre comment le budget de la défense a pu monter en flèche sans gains proportionnels sur le champ de bataille ou sans amélioration de la situation humanitaire. L'explication la plus simple est que Traoré a utilisé ces fonds principalement pour la protection du régime. »
Rupture avec l'Occident et repositionnement géopolitique
Le capitaine Ibrahim Traoré a souvent exprimé des préoccupations concernant des tentatives d'ingérence étrangère dans les affaires du Burkina Faso.
Il a notamment accusé certaines puissances impérialistes de vouloir exploiter les richesses du pays en utilisant le terrorisme comme outil de déstabilisation, affirmant : « Nous sommes victimes de nos richesses, ces richesses que les impérialistes veulent coûte que coûte reprendre pour nous maintenir dans l'esclavage ».
« Les Etats de l'AES sont engagés dans un processus de recouvrement de leur souveraineté totale », clamait il lors du sommet des pays de l'AES en juillet 2024.
Dans ce contexte, le Burkina Faso a renforcé ses liens avec des partenaires non occidentaux, notamment la Russie, tout en prenant ses distances avec certains alliés traditionnels.
Il a d'abord tourné le dos à la , ancienne puissance coloniale, exigé le départ des soldats déployés sur son sol début 2023 et ordonné l'expulsion de diplomates.
Cette réorientation géopolitique reflète une volonté de diversifier les partenariats internationaux et de renforcer la souveraineté nationale.
Pour l'analyste Daniel Eizenga, il y a cependant un bémol à cette stratégie diplomatique du régime militaire de transition qui est de plus en plus sous pression.
« Traore a mis fin aux partenariats de coopération sécuritaire du Burkina Faso avec de nombreux pays occidentaux. Ces partenariats de coopération en matière de sécurité n'ont pas entraîné de coûts financiers pour les citoyens burkinabés. Ce n'est pas le cas avec la Russie. Les efforts de M. Traoré pour renforcer les liens avec la Russie se sont traduits par l'octroi de concessions minières à des entreprises russes. Il a également employé des mercenaires russes dans le cadre de son service de protection personnelle, à un coût non spécifié.De même, on a beaucoup discuté de la façon dont un partenariat russe plus fort aiderait à résoudre les problèmes de sécurité et les situations humanitaires qui s'aggravent considérablement. Pourtant, en 2024, le Burkina Faso a subi certaines des pires attaques d'extrémistes violents contre ses militaires et ses civils de son histoire, avec plus de 100 soldats tués lors d'une attaque contre une base militaire à Mansila en juin 2024 et des centaines de civils tués lors d'une attaque juste à l'extérieur de la ville de Barsalogho en août 2024. Depuis l'arrivée au pouvoir de Traoré et le renforcement des liens avec la Russie, nous avons également constaté que les civils étaient de plus en plus pris pour cible par les forces de sécurité. Étant donné que Traoré est au pouvoir depuis deux ans et demi et que la situation en matière de sécurité s'est considérablement détériorée, je pense qu'il est juste de commencer à se demander si cet agenda porte ses fruits », observe le chercheur.

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Le Burkina Faso sous le régime Traore vit des heures d'incertitude, selon le chercheur Daniel Eizenga.
« Je pense que les perspectives du régime militaire au Burkina Faso sont très fragiles. En 2024, les forces armées ont tué presque le même nombre de civils que les groupes extrémistes violents. Ces derniers ont renforcé leur présence à travers le pays et ciblent les corridors commerciaux du pays, ce qui pèse sur l'économie. Ces militants ont également fait preuve d'une capacité croissante dans leurs attaques contre les forces armées. Dans le é, des attaques dévastatrices contre les forces armées ont précipité des coups d'État, y compris celui qui a porté Traoré au pouvoir. À d'autres moments de l'histoire du Burkina Faso, le mécontentement populaire a mobilisé des centaines de milliers de personnes pour protester en faveur d'une gouvernance démocratique civile. Je ne pense donc pas que l'on puisse exclure la possibilité que le régime militaire soit renversé par ce type de pressions sur une période suffisamment longue. À court terme, il n'y a guère de raisons d'espérer une amélioration. Les forces armées semblent à bout de souffle et les groupes extrémistes violents semblent profondément enracinés dans une grande partie du pays. Le Burkina Faso reste en proie à l'insécurité et à l'instabilité. Dans ce type de contexte, tout régime est confronté à une grande incertitude. »
Fin mai 2024, le Burkina Faso avait adopté une charte permettant au régime militaire de rester cinq ans de plus à la tête du pays.
Nouvelles dynamiques de pouvoir entre l'Afrique et l'Occident
Dans ses commentaires faits devant le Sénat américain, le général Michael Langley a également critiqué certains pays africains pour la corruption croissante, l'instabilité politique et la multiplication des coups d'État militaires.
« L'Afrique de l'Ouest est confrontée à un ensemble complexe de défis. La région a récemment connu une vague de coups d'État militaires, avec des pays comme le Burkina Faso, la Guinée, le Mali et le Niger confrontés à des bouleversements, des militaires ayant renversé des gouvernements élus. Ces perturbations résultent d'une corruption endémique, d'un développement économique lent, de la faiblesse des institutions démocratiques et d'une patience stratégique limitée », a-t-il dit.
Le chef militaire américain a également critiqué l'influence de la Chine sur l'Afrique. « La manipulation et l'ingérence de l'information étrangère sont monnaie courante alors que la Chine exploite ses relations en Afrique à des fins économiques et pour sécuriser des minéraux et des ressources critiques », peut-on lire dans son rapport de présentation devant la Commission armées du Sénat.
En réponse, le gouvernement burkinabé a condamné les propos du général Langley, les qualifiant de « regrettables ».
L'ampleur de la réaction suscitée par les propos de Langley révèle les fractures géopolitiques croissantes et les nouvelles dynamiques de pouvoir entre l'Afrique et l'Occident.
En effet, les critiques de Langley sur l'exploitation des ressources en Afrique par des puissances étrangères, dont la Chine et la Russie, ont aussi été perçues comme une manière de détourner l'attention des actions des États-Unis et de leurs alliés, notamment en matière de pillage des ressources africaines.

Crédit photo, U.S Africa Command
Âgé de moins de 40 ans, le capitaine Ibrahim Traoré est vu par ses partisans comme un dirigeant jeune, énergique et insoumis.
Il multiplie les apparitions publiques, les discours mobilisateurs en langue locale, et cultive l'image d'un leader accessible, simple, incorruptible, en rupture avec les élites traditionnelles accusées de trahison ou de compromission.
Dans toute l'Afrique de l'Ouest, de nombreux jeunes le considèrent comme un modèle de résistance face à l'ordre international jugé néocolonial.
Il est devenu une figure emblématique d'un nouvel élan panafricaniste, au même titre que ses homologues du Mali (Assimi Goïta) et du Niger (Abdourahamane Tiani), avec qui il forme l'Alliance des États du Sahel (AES).
Le régime dirigé par le capitaine Ibrahim Traoré qui revendique aussi à l'envi l'héritage souverainiste et panafricain de Sankara, est régulièrement accusé par les organisations de droits humains, de réduire au silence les voix dissidentes.