Les oasis, ou les oubliées du développement durable

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- Author, Eric Falt
- Role, Directeur du Bureau régional de l'UNESCO pour le Maghreb
Au cœur des déserts, entre dunes mouvantes et sécheresse accablante, subsistent encore des fragments d'humanité et d'harmonie : les oasis. Loin d'être de simples mirages ou des décors pittoresques pour les cartes postales, les oasis sont des modèles d'habitat durable et des laboratoires ancestraux d'innovation écologique. Elles témoignent de la capacité humaine à vivre en symbiose avec la nature, dans des environnements qui sont parmi les plus hostiles de la planète.
Dans la région du Maghreb, plusieurs sites oasiens ont été reconnus par l'UNESCO pour leur caractère exceptionnel. En Algérie, la vallée du M'zab a été inscrite au patrimoine mondial en 1982 et inclut plusieurs oasis. En Libye, l'ancienne ville de Ghadamès a de même été inscrite en 1986. Au Maroc, les oasis du sud marocain sont reconnues depuis 2000 comme une Réserve de biosphère par l'UNESCO.
Des oasis menacées de disparition

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Pourtant, ces systèmes oasiens sont aujourd'hui en danger de disparition, menacés à la fois par le changement climatique, l'exode rural, l'industrialisation et des politiques de développement parfois inadaptées. Il est temps de changer de regard, d'agir collectivement et de faire de ces territoires une priorité politique, scientifique et culturelle.
Contrairement à une idée répandue, une oasis n'est pas un miracle naturel. Elle est une création humaine minutieuse, née de la maîtrise de l'eau rare, de la gestion des sols et d'une coopération sociale profondément enracinée. En jouant sur les microclimats, en cultivant en étages – palmiers, arbres fruitiers, céréales –, en développant des techniques de captage de l'humidité comme les qanats ou les foggaras, les communautés oasiennes ont bâti de véritables écosystèmes autosuffisants.
Ce savoir-faire, transmis de génération en génération, est aujourd'hui en péril. Et avec lui, c'est une part du patrimoine mondial qui risque de s'effacer. Car l'oasis n'est pas qu'un espace agricole : c'est un paysage culturel, un modèle d'organisation spatiale, sociale, économique et spirituelle.
En 2025, plus d'un tiers de l'humanité — soit 2,6 milliards de personnes — vit dans des zones arides ou semi-arides. Ces territoires couvrent 41 % de la surface terrestre et font face à des conditions de plus en plus extrêmes : raréfaction de l'eau, salinisation des sols, tempêtes de sable, pluies violentes et inondations soudaines.
Longtemps symboles de résilience, les oasis s'effondrent aujourd'hui sous la pression combinée des crises environnementales, économiques et sociales. Les savoirs traditionnels sont délaissés, les systèmes hydrauliques ancestraux s'assèchent, les jeunes quittent les terres sans perspectives. À ce rythme, certaines oasis pourraient disparaître d'ici quelques décennies, emportant avec elles un modèle unique d'adaptation à des conditions de vie difficiles.
Face à cette crise, il ne suffit plus de penser les oasis comme des « zones rurales isolées ». Il faut les reconnaître pour ce qu'elles sont : des établissements humains à part entière, complexes, vivants, porteurs d'identité et d'innovation. Ce sont des "villes-jardins" avant l'heure, anticipant bien avant nous les solutions d'urbanisme durable d'aujourd'hui.
Ce changement de regard prôné par l'UNESCO implique une refonte des politiques d'aménagement, une révision des cadres juridiques et une mise en réseau des acteurs de la transition. Il appelle également à mobiliser l'ensemble des expertises — en éducation, culture, sciences, environnement, information — dans une approche intersectorielle.
Les oasis du monde arabe, parmi les plus emblématiques, côtoient celles de Chine, du Chili ou du Niger, dessinant une constellation planétaire d'intelligence humaine face à l'aridité. Partout, elles racontent une histoire : celle d'une humanité qui a su faire avec peu, en transformant la rareté en abondance.
Aujourd'hui, alors que les villes modernes sont confrontées à la crise écologique, sociale et énergétique, les oasis offrent un autre récit : celui d'un développement lent, équilibré, local et profondément humain. Ce sont des prototypes inspirants pour la ville résiliente de demain, intégrant nature, culture, technologie et communauté.
Des oasis comme patrimoine vivant

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L'UNESCO, forte de son mandat global et de son expertise reconnue dans la préservation des paysages culturels, est idéalement placée pour impulser un changement d'échelle. Elle propose une approche intégrée, mobilisant l'ensemble de ses domaines de compétence — éducation, sciences, culture, communication — pour bâtir une nouvelle stratégie de sauvegarde et de développement durable des systèmes oasiens.
Cela suppose d'abord une reconnaissance claire des oasis comme patrimoine vivant, à la fois naturel et culturel, porteur de valeurs d'harmonie, de résilience et de transmission. Il s'agit aussi de soutenir les savoirs traditionnels — qu'il s'agisse de techniques agricoles, d'architecture, de gestion de l'eau ou d'organisation sociale — tout en favorisant leur transmission intergénérationnelle.
La modernisation des infrastructures dans ces territoires doit se faire dans le respect des écosystèmes locaux, en évitant les solutions standardisées inadaptées. Elle doit également s'accompagner de la création d'emplois verts et inclusifs, en particulier pour les jeunes et les femmes, en valorisant les ressources locales et les chaînes de valeur durables.
Enfin, il est indispensable que les oasis soient pleinement intégrées dans les politiques de planification urbaine, en tant qu'établissements humains à part entière. Cela implique de leur accorder les mêmes droits à l'accès aux services, à l'innovation, à la culture et à la participation citoyenne que les zones dites urbaines.
Préserver les oasis, notamment au Maghreb, c'est bien plus qu'un enjeu local ou environnemental : c'est une manière de réconcilier développement et durabilité, mémoire et innovation. Le temps n'est plus aux constats. Il est à l'action.
Alors, réveillons les oasis de notre indifférence. Redonnons-leur voix, avenir et reconnaissance. Car en sauvant les oasis, c'est aussi un modèle d'humanité durable que nous préservons — pour aujourd'hui, et pour demain.
Eric Falt est le Directeur régional de l'UNESCO pour le Maghreb et Représentant de l'UNESCO auprès de l'Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie.